Anne  Delbée
Fiche Artiste

Anne Delbée

Un jour viendra où l’on croira que le monde est mort. Alors le Théâtre réinventera l’humanité. Anne Delbée, dès son enfance, a côtoyé le monde du théâtre. Son père, architecte de Jean-Louis Barrault, son oncle, directeur de la Maison Jansen, décorateur international renommé, travaillait également aux côtés de Barrault, dont il était l’ami proche. Assez tard pour une telle famille,Anne Delbée pénètre, à douze ans, pour la pre- mière fois dans un théâtre afin d’assister, à l’Odéon Théâtre de France, à la création de Tête d’or de Paul Claudel en présence du général de Gaulle et d’André Malraux. Ce soir-là, celle qui rêvait tout d’abord d’être écuyère choisit son destin : la pas- sion du théâtre ne la quittera plus. Elle sera, dit-elle, « un homme de théâtre », un révélateur de poètes, un chef de troupe et un éveilleur d’idées c’est-à-dire un metteur en scène à l’image, ce soir-là, de Jean-Louis Barrault. Le théâtre devient pour elle une vraie quête, fruit d’une vraie réflexion politique et morale. Sa première troupe est formée par ses compagnes du lycée Claude-Monet, où elle monte La Reine morte d’Henry de Montherlant. Accueillie par la salle du lycée de garçons Louis-le-Grand, elle y fait la connaissance de Patrice Chéreau et de Jean-Pierre Vincent, adolescents eux aussi. Elle réalise en 1971, avec sa première troupe professionnelle, un montage des textes de Victor Hugo à la Cité univer- sitaire, puis révèle au public français la grande pièce allemande de Schiller Les Brigands, qu’elle réalise aux anciennes Halles de Baltard. Les jeunes comédiens qui la rejoindront alors au fil des ans vont connaître la notoriété: Jean-Claude Jay, René Ferret (cinéaste), Jean-Paul Wenzel, ou Michel Boujenah... Comme comédienne elle débute en 1968 sous la direction de Gabriel Monnet à la maison de la culture de Bourges mais très vite elle réalise elle-même, invitée par Jean Dasté à Saint-Étienne. À vingt-huit ans, elle est appelée par Jean Mercure au Théâtre de la Ville où sa mise en scène de L’Échange de Paul Clau- del connaît un triomphe pendant deux ans : Guy Dumur du Nouvel Obser vateur parle «d’un génie de la mise en scène». Parallèlement, depuis leur rencontre à l’école Lecoq, elle accompagne Antoine Vitez lorsqu’il crée le Théâtre des Quartiers d’Ivry et joue Méphisto dans son premier Faust. Jean-Marie Serreau, dont elle devient l’assistante un moment, l’engage aussi dans ce qui sera sa dernière mise en scène et Patrice Chéreau lui demande de jouer dans son premier court-métrage. En 1973, au Festival d’Avignon, elle est l’une des pionnières du Théâtre musical, où elle fait découvrir le nom de Georges Aperghis en mettant en scène l’un de ses premiers opéras, Pandémonium, qui fait un triomphe. Une soixantaine de mises en scène suivent, dont on retient Phèdre à la Co- médie-Française, avec les costumes de Christian Lacroix, la trilogie de Racine (Andromaque, Bérénice, Phèdre) au Fes- tival d’Avignon, Tête d’or, au Théâtre du Vieux-Colombier. Si Racine devient, dès 1982, l’axe de son travail, elle reste fidèle à l’œuvre de Claudel tout en révélant l’existence, la même année de sa sœur Camille, par l’écriture d’Une femme, Camille Claudel, grand prix des lectrices de Elle, traduit dans plus de vingt pays. Même si elle réalise des mises en scène d’opéras (La Traviata, Don Giovanni, Le Chevalier à la rose) elle ne cesse de vouloir maintenir une troupe et une école espérant peu à peu créer, à l’image de Maurice Béjart, une compagnie internationale de théâtre. Avec ses comédiens, plus d’une vingtaine,ellecrée,en1986,souschapiteau à la pelouse de Reuilly, un Théâtre d’idées en faisant jouer en alternance Andromaque, Bérénice, Phèdre et en fin de semaine la trilogie de Wallenstein de Schiller qui dure douze heures, jamais encore montée à ce jour. Comme actrice, elle reprend L’Aiglon en 1988, monté à Nancy en hommage à Sarah Bernhardt et qu’elle interprète au théâtre des Mathurins (elle reçoit l’Ordre national du Mérite des mains du Grand Chancelier, au musée de la Légion d’hon- neur et y lit un fragment de L’Aiglon). Première femme à avoir été nommée à la tête d’un Centre dramatique national (le CDN de Nancy créé à cet effet), elle instaure un vrai travail à la fois sur le pa- trimoine mais aussi les pièces contempo- raines (La Guerre à deux voix de Laurence Deonna, L’Affaire de Nancy...) et réunit divers lieux culturels, Opéra de Nancy et jeunes troupes locales. Refusant de s’installer dans une rou- tine, elle repart à Paris pour essayer de trouver les moyens de créer enfin cette compagnie internationale. Invitée opportunément par Maurice Béjart, elle travaille à ses côtés par intermittences et appro- fondit ainsi son idée d’unThéâtre des civi- lisations. C’est ainsi que pendant trois ans, loin de la lumière, elle réalise un travail innovant avec son équipe autour de la tragédie grecque, dans les banlieues. Invitée souvent aux États-Unis où elle donne des classes de maître sur Ra- cine à Berkeley, elle joue également des « performances » en interprétant, à la de- mande, les rôles qu’a tenus Sarah Bern- hardt lors de ses tournées. Le succès du livre Camille Claudel l’ayant révélée comme écrivain, elle conti- nue régulièrement à publier : Elle qui tra- versa le monde, Racine Roman, Il ne faut re- garder que l’amour, La 107e minute autour du footballeur Zinédine Zidane. Compagne pendant trente-cinq ans du réalisateur Pierre Bureau, mort en 2004, elle en a eu une fille en 1982, danseuse dans la compagnie de Maurice Béjart de 1999 à 2008. Parallèlement au théâtre et à l’écriture, elle ne cache pas son intérêt pour les combats d’idées et la politique. Après avoir accepté en 1983 d’être présidente de l’Union des Femmes Françaises (regroupement d’anciennes déportées de toutes origines : Marie-Claude Vaillant- Couturier, Madame Huysmans), elle participe en 1985 au Grand Congrès de la Paix des Femmes, en U.R.S.S., à Moscou, milite pour à la libération de Nelson Mandela et rejoint d’autres luttes. Après avoir été plusieurs années présidente du Syndicat national des metteurs en scène, créé au lendemain de la dernière guerre, par Charles Dullin, Louis Jouvet, Jacques Copeau, Gaston Baty, Gordon Craig, elle en est maintenant la présidente d’honneur. Aujourd’hui, Anne Delbée se consacre de plus en plus à l’écriture et à la trans- mission de la tragédie en France et à l’étranger. À ce sujet, en 2012, un docu- mentaire a été tourné sur son travail Ra- cine, le déchaînement des passions réalisé par Catherine Maximoff, ce film a obtenu deux prix : le Prix du jury des lycéens et le Prix du Public au festival de Cholet.